Laisser + infinitif : on accorde ou pas ?
Ma fille est venue avec moi, je l’ai laissé(e ?) choisir son cadeau.
Trois façons d’aborder cet ortho-truc : en « recommandé », en bref ou en détails…
L’ortho-truc en recommandé (pour les « réformés ») :
La réforme de l’orthographe de 1990 a notamment introduit l’invariabilité du participe passé de laisser quand il est suivi d’un verbe à l’infinitif, tout comme l’est déjà le verbe faire :
♦ Quant à ma fille, je l’ai laissé choisir.
♦ C’est ma maison, je l’ai fait construire.
L’ortho-truc en bref (à l’ancienne mais pour les pressés) :
→ Laisser + verbe TOUJOURS à l’infinitif.
→ Il faut toujours se poser la question de QUI fait l’action du verbe à l’infinitif. Quand la réponse est le nom sur lequel on est tenté d’accorder (COD de laisser ou sujet de se laisser), c’est qu’il y a accord. Si la réponse est quelqu’un d’autre, il n’y a pas accord (dans l’exemple ci-dessus, on accorde donc laissée, car c’est le COD l’, donc ma fille, qui fait l’action de choisir).
L’ortho-truc en détail et en exemples :
Premier point indispensable à retenir : dans la locution « laisser + verbe », le verbe est TOUJOURS à l’infinitif. Bonne nouvelle : nous n’aurons donc pas à nous poser la question de l’accord des verbes du premier groupe associés à laisser (les livres qu’elles ont laissés tombER…).
Voyons donc maintenant l’accord de laisser : deux formes – laisser, se laisser –, deux difficultés, deux raisonnements différents.
1 – laisser + infinitif : laisser choisir, laisser faire, laisser dire, laisser partir…
a/ cas où il faut accorder le verbe laisser
♦ Ma fille est venue avec moi, je l’ai laissée choisir son cadeau.
♦ Les constructions qu’ils ont laissées se détériorer…
♦ La maîtresse les a laissés dessiner sur le tableau.
À retenir : dans tous ces cas, il y a accord de laisser avec le complément d’objet qui le précède (souligné) parce que celui-ci est aussi sujet du verbe à l’infinitif : C’est ma fille qui choisit (qui est laissée choisir), ce sont les constructions qui se détériorent (qui sont laissées se détériorer), ce sont eux qui dessinent (qui sont laissés dessiner).
Notez que ce cas est similaire au cas classique d’accord des participes passés avec COD placé devant le verbe avoir :
« Je l’ai laissée choisir » : J’ai laissé QUI choisir son cadeau ? Ma fille. Laissé s’accorde avec ma fille parce le l’ désigne ma fille placé avant le verbe… Mais « J’ai laissé ma fille choisir son cadeau » : COD placé après laissé, pas d’accord.
b/ cas où il ne faut pas accorder le verbe laisser
♦ Les insultes qu’elles ont laissé proférer au sujet du directeur…
♦ Les dessins que la maîtresse a laissé faire sur le tableau…
♦ Les erreurs que je l’ai laissé commettre…
À retenir : ici, le complément d’objet n’est pas le sujet de l’infinitif, il n’y a pas d’accord du participe passé de laisser :
Les insultes ne profèrent pas mais sont proférées par quelqu’un, les dessins ne font pas mais sont faits sur le tableau, les erreurs ne commettent rien mais sont commises par l’, qui est ici forcément un homme, sinon on aurait : Les erreurs que je l’ai laissée commettre.
Autrement dit : Elles ont laissé QUI proférer des insultes ? On ne sait pas, mais pas les insultes elles-mêmes, donc pas d’accord de laisser avec insultes.
2 – se laisser + infinitif : se laisser mourir, se laisser tomber, se laisser faire…
a/ cas où il faut accorder le verbe se laisser
♦ Elle s’est laissée mourir de chagrin.
♦ Ils se sont laissés tomber du haut de la falaise.
♦ Elles se sont laissées aller à la colère.
À retenir : posons-nous encore la question de QUI fait l’action du verbe à l’infinitif. QUI meurt ? Elle-même. QUI tombe ? Eux-mêmes…
Quand le sujet repris par le pronom personnel réfléchi se est aussi sujet du verbe à l’infinitif, il y a accord avec laisser. On retrouve le cas classique de l’accord des participes passés des verbes pronominaux.
b/ cas où il ne faut pas accorder le verbe se laisser
♦ Elle s’est laissé faire par sa fille.
♦ Elle s’est laissé séduire par cet énergumène.
♦ Ils se sont laissé convaincre par leur patron.
♦ Elles se sont laissé dire que le voyage serait annulé.
À retenir : si à la question QUI + verbe à l’infinitif la réponse est différente du sujet de la phrase, on n’accorde pas. QUI fait ? Sa fille, pas elle. QUI séduit ? Cet énergumène, pas elle. QUI convainc ? Leur patron, pas eux. QUI dit ? On ne sait pas mais pas elles.
Et voilà ! Je vous laisse digérer tout cela.
Références : Larousse en ligne, Dictionnaire de l’Académie française