S’autodétruire soi-même...
Aujourd’hui, je chipote.
Je vais vous parler de logique bafouée, d’erreurs autorisées, de pléonasmes lexicalisés…
Pour commencer, on en a déjà parlé (ici) mais rappelons ce qu’est un pléonasme :
« Répétition dans un même énoncé de mots ayant le même sens, soit par maladresse (par exemple descendre en bas), soit dans une intention stylistique (par exemple Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux, vu [Molière]). »
Ça, c’est la définition complète de pléonasme dans le Larousse en ligne (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais-monolingue). Dans mon gros Petit Larousse illustré 2012, c’est plus simple : « Répétition de mots dont le sens est identique. (Ex. Descendre en bas.) »
Maintenant, petit jeu : parmi cette liste exhaustive des verbes commençant par s’auto dans Le Petit Larousse illustré 2012, cherchez l’intrus…
S’autocensurer, s’autodétruire, s’autofinancer, s’autoflageller, s’autonomiser, s’autoproclamer
Vous avez trouvé. C’est s’autonomiser, qui est construit sur autonome et qui signifie « devenir autonome », par opposition à autonomiser, c’est-à-dire « rendre autonome ».
Tous les autres verbes sont construits sur la forme s’auto + verbe indépendant
S’auto + censurer, s’auto + détruire, s’auto + financer, etc.
Or, peut-être voyez-vous déjà là où je veux en venir, ne pourrait-on pas dire plus simplement
se censurer, se détruire, se financer, se flageller, se proclamer ?
Voyons ce que dit Larousse :
Se détruire : « nuire à sa propre santé physique ou morale »
S’autodétruire : « se détruire soi-même »…
Les définitions sont différentes mais le sens est bien le même, non ? Et pourtant, la liste de ces verbes en s’auto est issue de mon Petit Larousse, ce sont des verbes admis dans le plus célèbre dictionnaire de France. Les versions courtes que j’ai proposées n’y sont d’ailleurs pas données, à part se détruire (pas de version pronominale précisée pour censurer, financer, flageller, proclamer). Autrement dit, le préfixe auto est accolé d’office et donc imposé pour dire que l’on se finance, que l’on se proclame (soi-même)…
Dans Le Robert..., c’est pareil (vérification faite dans Le Robert illustré 2020 lors de la mise à jour de ce billet), à l’exception du verbe s’autocensurer, qui est absent à la suite d’«autocensure ».
Et pourtant :
la formule s’auto + verbe est pléonastique, car s’ et auto signifient la même chose, à savoir « soi-même ».
C’est le Dictionnaire d’orthographe d’André Jouette, édité par Le Robert et considéré comme une référence en la matière (en plus du Larousse), qui nous pousse à chipoter. Voici ce qu’il nous dit à l’entrée auto :
« De soi-même, il se soude au mot qui suit (autoportrait), sauf si ce mot commence par i ou u (auto-induction). Accolé à de nombreux noms ou adjectifs, il n’a pas de limite d’emploi. Cependant, l’adjoindre à un verbe pronominal ne fait que créer un pléonasme (s’autodiscipliner, c’est se discipliner). »
Remarquez, c’est amusant, justement s’autodiscipliner est absent de ma liste « laroussienne » exhaustive de verbes en s’auto...
Que conclure de tout cela ? Rien, ce n’est que du chipotage (assumé !). On peut bien s’autoflageller puisque le dictionnaire l’autorise !
Mais attention, si s’autodétruire est autorisé, « se détruire soi-même » est à bannir, car c’est un pléonasme ! Qu’on se le dise !